La tension entre la Création et les résultats scientifiques selon Thomas F. Torrance
Depuis le développement de la théorie de l’évolution, la croyance en la création du monde telle que racontée dans la Bible a été mise à mal. La vision d’un dieu créateur commence à poser des problèmes puisqu’elle ne correspond pas aux résultats scientifiques. La cosmogonie présente jusqu’à ce moment-là est ébranlée et une tension voit le jour entre celle-ci et les sciences.
Le but de cette réflexion est d’examiner si la proposition faite par Thomas F. Torrance est applicable à la société actuelle. Nous verrons que la proposition de l’auteur n’est pas entièrement satisfaisante. Cependant, elle permet une réflexion qui nous pousse à nous interroger sur notre propre manière de lier les deux.
Questionnement
Depuis longtemps, l’être humain pense que le monde a été créé par Dieu, comme les textes bibliques le disent : « Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre ».
Face aux avancées scientifiques, la Création de la Genèse devient en partie obsolète : la nature est auto-suffisante et n’a pas besoin de Dieu. Les théologiens catholiques romains et protestants affirmaient qu’il ne pouvait pas y avoir de nature sans la grâce de Dieu. La science, elle, met en lumière l’auto-création de la nature. Les pouvoirs de création de Dieu sont compris comme des mythes.
Puisque la nature se développe par elle-même, Dieu n’est plus une nécessité dans le processus. On commence donc à s’interroger sur la manière d’articuler les récits de Création avec les résultats apportés par les sciences. On se demande : faut-il remplacer totalement la religion par les sciences ? Celles-ci ont-elles plus de poids que les Écritures ? Comment mettre en relation les résultats d’études scientifiques et les croyances ?
Thomas Forsyth Torrance
Un auteur a répondu à ce questionnement : Thomas Forsyth Torrance (1913-2007), théologien écossais. Élève de Karl Barth, il s’intéresse grandement aux sciences. Il est devenu l’un des plus grands experts de la relation entre la théologie et les sciences. Son but est de trouver le point d’équilibre entre l’apport de la théologie et celui des sciences. Pour lui, il est important de ne pas mettre de côté l’une ou l’autre des disciplines. Il faut les faire dialoguer grâce à la transcendance de Dieu dans l’espace et le temps afin de trouver la compréhension profonde de la nature.
Quatre liens possibles
Afin de mieux comprendre les relations possibles, prenons les quatre façons proposée par Ian Barbour (chercheur américain spécialiste de la question du lien entre sciences et religion) pour lier les deux :
- Le conflit : Le conflit est l’opposition totale de l’une à l’autre.
- L’indépendance : L’indépendance consiste en ce que les deux disciplines ne se nient pas mutuellement mais ont des compartiments bien étanches.
- Le dialogue : Le dialogue permet une aide réciproque à la compréhension propre de chacune des disciplines.
- L’intégration : L’intégration définit une contribution de chacun des champs de connaissance au développement de l’autre et au développement d’une métaphysique inclusive.
Les propositions faites par Ian Barbour permettent de nous rendre compte de la difficulté de mettre en relation les deux disciplines.
Selon Thomas F. Torrance
Torrance propose une réflexion inspirée par Schleiermacher autour du Christ. Premièrement, Torrance affirme que l’Univers dépend uniquement d’un dieu créateur. Deuxièmement, il dit que la compréhension des lois de la nature découle de l’amour de Dieu. Ces lois font sens grâce à lui. Les deux disciplines que sont la théologie et les sciences se complètent, permettent de mieux se comprendre l’une l’autre et s’influencent.
Il affirme qu’une articulation entre les sciences et la théologie est possible. Elle peut être comprise à la lumière des deux disciplines en même temps. Pour l’auteur, l’ordre transcendant de Dieu permet de donner de la signification à la science. La notion d’ordre vient d’un lien entre la Création et l’Incarnation. L’Incarnation de la Parole de Dieu en Jésus-Christ permet de révéler tout l’ordre créé.
Cohabitation des disciplines
Les deux disciplines doivent apprendre à cohabiter et non pas être liées. Il faut que les deux apprennent à « vivre ensemble », mais ne doivent pas « être mariées ». Il explique que si les deux disciplines sont liées (intégration) l’une ne peut évoluer sans avoir un impact sur l’autre. Cela signifie que lorsque les sciences évoluent, les croyances chrétiennes fondamentales sont menacées, et inversement.
Thomas F. Torrance ne s’arrête pas simplement à cette relation de dialogue entre les deux disciplines. Il met également en avant la théologie par rapport aux sciences, en affirmant qu’elle joue un rôle fondamental envers celles-ci. Il jongle entre ce que l’on peut appeler un dialogue et une intégration des deux disciplines. C’est-à-dire une discussion entre les deux et une dépendance de l’une à l’autre.
D’après lui, la théologie est nécessaire aux sciences pour répondre aux interrogations et questions qu’elles se posent mais auxquelles elles ne trouvent pas de réponses. La théologie intervient donc là où se trouvent les limites des sciences. Elle permet une compréhension en profondeur de la question, puisque celle‑ci répond aux interrogations là où les sciences ne peuvent plus donner de sens.
L’auteur se concentre sur le développement d’un cadre métaphysique où les deux champs de connaissance pourraient coexister et être interdépendants, sans pour autant s’influencer mutuellement. Il laisse donc aux deux disciplines une certaine autonomie.
Pour Torrance, mettre en lien les sciences et la théologie permet donc de comprendre la notion d’ordre, puisque la théologie apporte des réponses là où s’arrêtent les résultats des sciences et, par conséquent, explique la création du monde qui, pour lui, est divine.
Avis personnel
Je pense qu’une relation entre les deux disciplines est nécessaire puisque la spiritualité est devenue un élément essentiel dans la vie contemporaine. Cela permet d’avoir une vision claire de notre monde, sans tomber dans la facilité de l’une ou de l’autre des disciplines. Selon moi, la meilleure manière de lier la religion avec les sciences est le dialogue au sens large.
Le conflit n’est pas envisageable dans notre société étant donné l’importance des sciences et des spiritualités : il faut tisser un lien entre les deux. Les spiritualités peuvent aider à la compréhension des sciences, ou du moins, apporter du sens là où les sciences n’en ont pas. C’est pourquoi l’indépendance des deux n’est pas favorable.
En ce qui concerne l’intégration de l’une des disciplines à l’autre, nous ne pouvons pas soutenir la supériorité d’une religion non seulement sur les sciences mais non plus sur les autres religions. Il n’est pas concevable de mettre en valeur l’une ou l’autre religion, alors que nous vivons dans une société laïque qui cherche à éviter tout débat religieux. Cela ne ferait que relancer une bataille entre les deux domaines de connaissance alors que nous voulions l’apaiser. Pour ces raisons, le dialogue semble la meilleure relation entre les sciences et les religions. Le dialogue aide les domaines de connaissance à se comprendre mutuellement sans en mettre un plus en avant.
L’importance du lien
Il nous faut également lier les religions entre elles afin d’apporter les meilleures réponses possibles lorsque les sciences montrent leurs limites. Pour moi, les religions et les sciences se complètent, dans les deux sens, là où l’autre discipline montre ses limites. Mais nous laissons libre choix de prendre ou non ce qui est offert dans les différentes spiritualités. Cela permet un complément pour les questions qui ne trouveraient pas de réponse ni dans les sciences ni dans la spiritualité en laquelle nous croyons. Cela implique donc de savoir ce en quoi nous croyons et où nous voulons chercher des réponses. Nous pensons donc qu’il faut un partage entre les religions/spiritualités que l’on complète par un dialogue avec les sciences.
Un monde plus humain
Ce que je propose ici permet de construire un monde plus humain en nous basant sur tout ce que l’homme connaît : il pioche dans ce qui l’intéresse et ce qu’il comprend pour créer sa propre interprétation de la création. L’homme, par sa compréhension des choses, donne de l’importance à l’une ou à l’autre des disciplines. En revanche, nous pouvons tout de même soulever le problème que cette proposition apporte. Ma thèse a le risque de mettre en lumière un Dieu bouche-trou, c’est-à-dire utile uniquement là où les sciences et autres religions n’ont pas de réponses. C’est pour cette raison que j’affirme que chacun est libre de mettre en relation les religions/spiritualités entre elles, mais également avec les sciences de la manière dont il le souhaite.
Le fait de ne pas imposer une vision unique de relation permet de ne pas accorder plus d’attention à une religion/spiritualité, mais surtout de laisser chacun libre dans ses croyances, que Dieu soit le Créateur de toutes choses ou qu’il soit compris comme étant uniquement utile lorsqu’on en a besoin.
Conclusion
La position de Torrance vis-à-vis de la relation entre la théologie et les sciences n’est pas entièrement applicable à la société actuelle. La supériorité de la théologie sur les sciences n’est pas chose adéquate : les religions sont toutes égales entre elles et ne doivent pas être comprises comme étant supérieures aux autres sciences. Pour continuer cette réflexion, nous pourrions nous interroger sur un moyen universel de lier les différentes religions entre elles, afin d’avoir une procédure unique. Mais est-ce que l’unicité serait vraiment la solution ? Est-ce que cela ne mènerait pas simplement à l’étouffement de toutes différences intéressantes ? Ne vaut-il pas mieux valoriser les particularités de chacun ?
Sources : Texte de Ian Barbour, texte de Thomas F. Torrance