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Les mains qui agissent dans la spiritualité

Intervention au 14ème Congrès de la SITP – 7 juin 2025, Strasbourg

Récit d’expérience

J’ai un intérêt particulier pour les arts plastiques. J’aime l’idée de pouvoir transmettre une émotion, une sensation à travers une création manuelle. De plus, je trouve que la (hyper)concentration obtenue lorsque l’on pratique les arts plastiques est favorable à un questionnement spirituel.

C’est de cette hyper-concentration que m’est venue l’envie de travailler ce sujet. En effet, lorsque j’étais aumônière des étudiant-e-s à l’Université de Neuchâtel, j’ai souvent organisé des ateliers « créatifs ». Ces ateliers avaient pour but de permettre aux étudiant·e·s de faire une pause dans leur quotidien. Durant plus de trois heures, les participant·e·s étaient invité·e·s à créer librement (peintures, dessins, collages, terre autodurcissante, etc.) dans une ambiance sereine et bienveillante.

De plus, un grand nombre de pratiques dites spirituelles ont recours à l’utilisation du toucher, et plus particulièrement des mains. Notamment avec l’imposition (ou apposition, à déterminer) des mains, le toucher donne au geste la signification qu’on lui connaît, à savoir la bénédiction. Cet acte est également observable dans les textes bibliques, pour bénir ou pour guérir (Mt 19,13/Mc 7,32/Lc 13,12-13/etc.)[1].

De plus, le sens du toucher n’est pas considéré à sa juste valeur ; il mériterait d’être plus étudié, notamment sur les bienfaits qu’il peut apporter dans les relations interpersonnelles, d’autant plus qu’il est le premier sens que l’on acquiert et celui prenant le plus de place chez l’être humain[2]. L’être humain a besoin du contact avec d’autres.

Schéma de la pensée de ma recherche

Le premier défi de ma recherche va être de comprendre ce qu’est la spiritualité. Afin de rendre compte au mieux de ce concept, je souhaite exploiter les entrevues que j’aurais faites. Je les complèterai avec des lectures et des définitions que d’autres chercheur·euse·s ont pu donner avant moi (notamment l’apport d’Elio Jaillet sur la question).

La base de ma recherche est issue d’observations personnelles. J’observe un effet spirituel sur les personnes qui manipulent divers matériaux (objets) lors des ateliers créatifs. Mon hypothèse de base, tirée de ces observations, est que cette manipulation met la personne dans un état de flow, qui permet un développement de sa spiritualité.

Schéma personnel

Le concept du flow nous vient Mihaly Csikszentmihalyi (1934-2021)[3]. Ce docteur en psychologie d’origine hongroise a également dirigé le département de psychologie à l’Université de Chicago pendant plus de trente ans. Il élabore le concept de flow en 1975. Le flow, aussi appelé « expérience optimale », est une absorption totale de la personne par son occupation.

« L’expérience optimale donne un sentiment de maîtrise qui s’approche d’aussi près que l’on puisse l’imaginer de ce qu’on appelle le bonheur »[4]

Caractéristiques du flow

Mihaly Csikszentmihalyi détermine 8 caractéristiques que voici[5] :

  1. La tâche entreprise est réalisable mais constitue un défi et exige une aptitude particulière.
  2. L’individu se concentre sur ce qu’il fait.
  3. La cible visée est claire. (le but à atteindre est clair)
  4. L’activité en cours fournit une rétroaction immédiate.
  5. L’engagement de l’individu est profond et fait disparaître toute distraction.
  6. La personne exerce le contrôle sur ses actions.
  7. La préoccupation de soi disparaît, mais, paradoxalement, le sens du soi est renforcé à la suite de l’expérience optimale.
  8. La perception de la durée est altérée.

Autres relations possibles

En ce qui concerne la relation « toucher – objets », je pars de l’hypothèse que toucher des objets peut avoir un effet spirituel grâce à l’état mental de concentration extrême de flow (même hypothèse que celle de la catégorie « manipuler – objets »).

Lorsque la manipulation ou le toucher implique une réciprocité entre plusieurs personnes (cadres verts), cela soulève différents points. Tout d’abord, ces pratiques avec réciprocité me semblent être des canaux menant à un mieux-être ou un bien-être. Autrement dit, ces pratiques peuvent être considérées comme des pratiques de soins (spirituel). C’est pour cette raison que j’ai décidé de reprendre les 3 ordres de la santé[6] proposés par Jacques Besson, professeur Honoraire UNIL, spécialiste Psychiatrie et spiritualité, à savoir la santé moléculaire/cellulaire (physiothérapie), psychosociale (ostéopathie, massothérapie) et spirituelle (reiki, imposition des mains)[7].

La question majeure que je me pose est de savoir si ce concept de flow, observé dans la catégorie « manipuler – objets », peut se retrouver dans les autres catégories. Si le flow ne se retrouve pas dans ces catégories, peut-être qu’un autre concept pourrait être le témoin d’un même effet, à savoir un développement de la spiritualité. Il faudrait un concept dont les caractéristiques sont remplies.

D’autres interrogations émergent au fur et à mesure de mes recherches, notamment au sujet de la physiologie de la main : ce qu’implique l’intérieur et l’extérieur de la main. Je me demande également s’il y a une possibilité que les pratiques de la catégorie biologique, ains que psychosociale soient également des pratiques de santé spirituelle. Quelle est la limite entres ces catégories ?

Enjeux

Comptabiliser/évaluer le développement de la spiritualité de quelqu’un.

Un autre enjeu majeur de ma recherche est la manière d’évaluer le développement d’une spiritualité. La quantité de spiritualité d’une personne n’est pas calculable.

Afin de pouvoir tout de même parler d’un «développement spirituel», je me baserai à nouveau sur les témoignages des entrevues. Cela me permettra d’avoir le ressenti personnel, ainsi qu’une idée précise de l’évolution de la spiritualité des personnes rencontrées.

Références

Besson, Jacques. « Santé, spiritualité et addiction ». Psychotropes (Paris, France) 26, no 1 (2020), p.73‑84. https://doi.org/10.3917/psyt.261.0073.

Besson, Jacques, « De la spiritualité et de l’espoir dans le rétablissement en santé mentale », Dix ans de la Maison Béthel, Conférence du 27 août 2020, PowerPoint en ligne, consulté le 27 mai 2025. URL : https://www.maison-bethel.ch/upfiles/documents/conference-pr-j-besson-20200827-21890.pdf

Csikszentmihalyi, Mihaly. Vivre – La Psychologie du bonheur. Robert Laffont, 2023.

Veyron, Marie-Laure. Le toucher dans les Evangiles. Lire la Bible 176, Paris, Ed. du Cerf, 2013.


A lire : La diversité fait la force


[1] Veyron, Marie-Laure. Le toucher dans les Evangiles. Lire la Bible 176, Paris, Ed. du Cerf, 2013.

[2] Le toucher passe par la peau.

[3] Csikszentmihalyi, Mihaly. Vivre – La Psychologie du bonheur. Robert Laffont, 2023.

[4] Ibid., p.18.

[5] Ibid., p.58-59.

[6] Besson, Jacques. « Santé, spiritualité et addiction ». Psychotropes (Paris, France) 26, no 1 (2020): 73‑84. https://doi.org/10.3917/psyt.261.0073.

Besson, Jacques, « De la spiritualité et de l’espoir dans le rétablissement en santé mentale », Dix ans de la Maison Béthel, Conférence du 27 août 2020, PowerPoint en ligne, consulté le 27 mai 2025. URL : https://www.maison-bethel.ch/upfiles/documents/conference-pr-j-besson-20200827-21890.pdf

[7]Besson, Jacques. « Santé, spiritualité et addiction ». Psychotropes (Paris, France) 26, no 1 (2020): 73‑84. https://doi.org/10.3917/psyt.261.0073.